Scène II
BRIZAILLES, puis GEORGES
BRIZAILLESVoyons… qu’est-ce qu’il y a de changé ici ? Tiens, c’est nouveau, ça. Très joli… un bouddha. (Avisant une photographie.) Eh ! mais voilà la petite d’Avremesnil, la future madame Chandon-Géraud… Bonjour ! Vous êtes charmante, mademoiselle… vous avez de la race, vous êtes fille d’ambassadeur, vous dansez très bien ; j’ai même été un peu amoureux de vous. Vous épousez un brave garçon, un secrétaire d’ambassade, bonne noblesse républicaine… notre noblesse à trait d’union… et puis si riche !… C’est vrai que j’ai été amoureux de vous. En avons-nous dansé des bostons ensemble !
GEORGES, entrant.
Brizailles ! Qu’est-ce que tu fais là ?
BRIZAILLESJe flirtais avec ta fiancée. Bien content de te revoir, mon vieux, et je te félicite !
GEORGESOui, ça s’est fait là-bas, à Bombay. Je suis heureux. Je suis très heureux. D’ailleurs, tu la connais.
BRIZAILLESDepuis que nous avons l’âge de sept ans.
GEORGES« Nous » est admirable ! Elle a encore tous ses cheveux, Dieu merci ! Mais dis donc, ça n’est pas pour me dire que tu ne viens pas déjeuner qu’on te voit de si bonne heure ?
BRIZAILLESNon. J’avais hâte de bavarder avec toi. Il y a quinze mois que je ne t’ai pas vu. Tu as une mine superbe. Tu n’as pas l’air malade.
GEORGESMalade ? Je n’ai jamais été malade.
BRIZAILLESComment ? Tu n’étais pas tout à l’heure avec ton médecin ?
GEORGESAh bon ! Mais non, mon vieux, je n’étais pas avec un médecin. C’était le secrétaire de Guerchard.
BRIZAILLESDe Guerchard, l’inspecteur de la Sûreté ? Est-ce que par hasard tu aurais reçu la visite d’Arsène Lupin ?
GEORGESLupin ne se dérange pas pour si peu de chose. On ne m’a volé qu’une bague… mais j’y tenais. Figure-toi…
(Le domestique entre.)
ALBERTOn demande Monsieur à l’appareil.
GEORGESC’est Mlle d’Avremesnil ?
ALBERTNon, Monsieur, c’est la gouvernante. Monsieur a la communication.
GEORGESC’est bien ! Tu permets ? Allô ! c’est vous, mademoiselle Kritchnoff ? — Oui, oui, c’est moi… moi même… oui, Germaine va venir ?… Oui, oui, j’attends, au revoir mademoiselle Kritchnoff ! La gouvernante est charmante aussi.
BRIZAILLESÉvidemment !
GEORGESGermaine et moi, nous avons monté ce matin à cheval tous les deux… Mais il y a déjà deux heures que nous ne nous sommes vus. C’est long !
BRIZAILLESComme on voit bien que vous n’êtes pas encore mariés !
GEORGESBrizailles, vous êtes un goujat, mon garçon. Allô, oui, c’est moi… vous allez bien… oui, très bien… Pas trop fatiguée par le cheval… Comment ?… Si je viens toujours dîner ce soir ?… En voilà une question ! Je viendrai d’abord prendre le thé… Comment ?.. ou ! ah ! oui, je vous aime… non, je ne peux pas, il y a quelqu’un.
BRIZAILLESTu sais, mon vieux, si je te dérange…
GEORGESOui, c’est une femme, une très jolie femme. Je vais lui passer l’appareil. Viens lui dire un mot.
BRIZAILLES, prenant les deux récepteurs et changeant sa voix.
C’est un flirt de votre fiancé qui vous parle, mademoiselle. (II rit.) Allô !… Qui je suis ? Jacques de Brizailles… Allô !… Si je veux conduire le cotillon le 15 ?… avec joie… un bal blanc ?… avec joie… je vous félicite, vous savez… vous allez être malheureuse comme les pierres… mais je vous félicite !
GEORGESDis donc, toi !
BRIZAILLESRappelez-moi au souvenir de monsieur votre père… oui, je viendrai prendre le thé demain… merci beaucoup ! (Passant l’un des récepteurs à Georges.) Elle est charmante.
(Il garde l’autre récepteur.)
GEORGESAllô !… oui, c’est re-moi ! Gentil garçon, oui ! Comment ! Et vous ? grand comme quoi ?… vous êtes un ange ! (Brizailles rit.) Hein ? veux-tu lâcher le récepteur, toi ? Allô ! Non, c’est à BrizaiIles… Ne coupez pas, mademoiselle… vous déjeunez tout de suite ? Je vous téléphonerai après déjeuner… au revoir… Quoi ? Le Matin ? le journal Le Matin ? non pourquoi ? une lettre de Lupin ? À propos de votre père… une fumisterie ! je vais voir ça… à tout à l’heure… Elle est délicieuse. (Il sonne.) Bertaut, apportez-moi Le Matin… Tu as lu Le Matin, toi ?
BRIZAILLESNon, mais j’ai lu L’Écho de Paris.
BERTAUTIl y a un monsieur qui demande Monsieur.
GEORGESQui ça ?
BERTAUTM. Henri Grécourt.
GEORGESOh ! mais, je crois bien.
BRIZAILLESIl déjeune avec nous ?
GEORGESOui, tu le connais ?
BRIZAILLESIntimement !
GEORGESSapristi ! Vous n’êtes pas brouillés, au moins ?
BRIZAILLESPas du tout ! Il vient de faire un livre remarquable… immoral, mais remarquable.
GEORGESEntrez, mon cher Grécourt. On vous accuse d’immoralité.